C’est particulièrement vrai dans le domaine de l’éducation, où une génération de « doers », des « faiseurs » qui n’appartiennent pas au monde académique, sont en train de tester des solutions innovantes pour transmettre le savoir.
Aux Etats-Unis l’exemple le plus emblématique est celui de Salman Khan. En 2003 ce jeune homme décide de prendre en main l’éducation de sa nièce qui n’est pas très bonne en maths en créant de tout petits modules vidéo sur la multiplication, l’addition, etc.
Mis en ligne sur un réseau local, ces modules sont au départ utilisés par les parents des camarades d’école de sa nièce qui trouvent ça formidable. Or, une décennie plus tard, le site devient la Khan académie, les vidéos sont traduites dans 65 langues, les ONG s’en servent dans les zones rurales en Asie, en Amérique Latine, en Afrique et le ministère de l’éducation américain a même annoncé pour l’année 2015/2016 un programme d’évaluation pour mesurer l’efficacité de son apport en mathématiques !
En Inde, c’est un homme qui a mis des ordinateurs dans des bidonvilles où des gens qui n’avaient pas accès, ni même de connaissance en informatique, pouvaient auto-apprendre si on les y encourageait : un million d’ordinateurs ont ensuite été financés par la fondation ’TED’, fondation qui a lancé une recherche mondiale intitulée « L’école dans les nuages ». Une communauté constituée entre autres d’instituteurs ou de professeurs retraités est même en train de participer à cette recherche en encourageant à distance des jeunes pour les aider à savoir comment auto-apprendre avec internet.
Bousculer les « codes »
Ces innovations ont fait réagir le « système ». L’universitaire Sebastian Thrun, brillant professeur d’intelligence artificielle, qui a travaillé pour le DARPA, le ministère de la défense et Google en imaginant la « Google car », est aussi le créateur du premier MOOC (cours en ligne), suivi par 160 000 étudiants dans 190 pays différents. La surprise du professeur Thrun a été de se rendre compte que parmi les 400 élèves les plus brillants de son cours, aucun ne venait de Stanford, l’Université où il enseignait ! Il a alors quitté pour partie l’Université pour créer Udacity et achever de bousculer les codes : la moitié des cours qui y sont donnés le sont par des personnes qui ne sont pas des professeurs traditionnels mais des industriels, des responsables d’associations ou des personnes détenteurs de savoirs expérientiels. Des personnes qui « font » et ne seraient pas éligibles comme professeurs.
Depuis, les universités du monde entier se sont emparées du sujet et testent différents modèles en se demandant à la fois quel est le plus connu, comment rémunérer les savoirs et les pérenniser.
Même si aucune réponse n’a encore été trouvée, cela confirme qu’à chaque évolution technologique les idées viennent des marges, plus habiles pour s’en saisir que ceux qui détiennent le pouvoir, tant ils ont du mal à accepter de telles évolutions.
Quand Guttemberg s’est dit qu’il fallait une bible par catholique et a pensé à l’imprimerie, ce sont les marginaux et les marchands qui se sont emparés de l’idée.
Aujourd’hui, la lecture d’internet est encore perçue comme une simple lecture de communication dont peu de personnes entrevoient l’aspect civilisationnel.
Si certaines élites ont du mal à comprendre, d’autres personnes ont déjà très bien compris ce qui se passe, d’où le sous-titre du livre de Laure Bellot, « Comment internet dérange l’ordre établi » et non pas bouleverse l’ordre établi : l’ordre est déjà rangé, mais différemment.
Des communautés de savoir en ligne
Autre exemple qui illustre parfaitement le poids de ces nouvelles communautés de savoir sur internet, Wikipedia. Avant sa création, Microsoft avait lancé Encarta, une encyclopédie en ligne, arrêtée en 2009 face au succès fulgurant de Wikipedia. Cela prouve bien le poids que peut prendre l’intelligence collective, véritable moyen de contrer les grands groupes internet, alors même que peu de monde avait misé dessus.
Plus largement, l’enquête menée par l’auteure dans différents pays montre la force de ces communautés en ligne qui mènent des actions extrêmement valorisantes pour la société et qui peuvent servir à tous, aux quatre coins du monde.
Dans le comté sud de Dublin par exemple, des informaticiens ont mis en place un système pour que les gens s’emparent de la ville et essaient de trouver des solutions quand il y a des problèmes, les habitants pouvant utiliser l’application pour localiser divers incidents et les faire remonter à l’application. Ce concept, du nom de « Fix your street », a tellement bien fonctionné qu’il a été étendu à toute l’Irlande. Aujourd’hui, le petit groupe informatique à l’origine du site se retrouve à gérer les problèmes de toutes les villes d’Irlande : le système étant numérique et dématérialisé, il voit remonter en effet des demandes de tout le pays…
Le livre de Laure Bellot pose de nombreuses questions faites pour que les gens s’en saisissent. Les nombreuses sollicitations dont elle fait l’objet depuis sa parution en sont la preuve la plus flagrante !
Article réalisé à partir de l’ntervention de Laure Belot,
journaliste et auteure de « La déconnexion des élites ».
Université d’automne de Peuple et Culture, 2015
Catherine Beaumont